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Le ministre par qui les zecs sont arrivées au Québec

Les Zones d’exploitation contrôlée (ZEC) fêtent leur 40e anniversaire de fondation. Michel Corbeil, ex-journaliste politique au quotidien Le Soleil, revient sur les débuts des zecs et leur situation actuelle.

Rendez-Vous Nature vous convie à un voyage dans le temps, les archives et les mémoires des zecs du Québec dans le cadre de leur congrès présenté, cette fin de semaine (6-7-8 avril 2018), au Fairmont le Manoir Richelieu dans Charlevoix.
 

Le ministre par qui les zecs sont arrivées (2 de 3)

Michel Corbeil

« Les gens au ministère (alors Tourisme, Chasse et Pêche) pensaient que j’étais malade mental. » Yves Duhaime sourit de bon cœur en se rappelant l’accueil réservé par ses fonctionnaires à son opération « déclubage » qui a conduit à la naissance des Zones d’exploitation contrôlée (zecs), il y a 40 ans.

Rencontré chez lui, à Saint-Jean-des-Piles, dans la circonscription de Saint-Maurice qu’il a représentée de 1976 à 1985, le ministre par qui les clubs privés de chasse et pêche vont disparaître, se rappelle que le gouvernement de René Lévesque dont il faisait partie ne manquait pas de grands chantiers.

« Pour nous, au PQ, il allait de soi d’abolir les clubs privés. Nous nous étions engagés à enlever les privilèges des clubs, mais sans avoir la formule de remplacement. »

Yves Duhaime hérite de la mission au lendemain de l’élection historique du premier gouvernement du Parti québécois.

À tour de rôle, l’Union nationale, au pouvoir de 1966 à 1970, puis, le Parti libéral du Québec (1970/1976) se rendent compte que les droits exclusifs pour la chasse et pêche octroyés par bail à des groupes restreints constituent un privilège suranné et inéquitable.

D’ailleurs, lors du tout premier débat en Chambre sur la disparition des « clubs », le libéral Michel Pagé lance que sa formation « avait, à l'époque, annoncé un programme d'accessibilité qui allait dans le même sens » que le PQ. Pour l’unioniste Maurice Bellemare, « au contraire, c'est une politique que nous avions, nous de l'Union nationale (en 1966). (…) C'est nous de l'Union Nationale qui avions commencé à décluber »…

Par contre, au pouvoir, leur action s’est limité à l’élimination d’une faible proportion des clubs, indemnisant les membres pour la perte de leurs installations. Au milieu de la décennie 1970, plus d’un millier de clubs existent encore.

Si l’État n’enlève que le droit exclusif de chasse et de pêche, « ça ne nous coûtera pas une cenne », propose alors le ministre. « Les membres ne perdraient ni leur chalet, ni leur chaloupe », uniquement le privilège exclusif de pratiquer leur sport sur un territoire donné, raisonne le politicien à la retraite.

Une première bataille se déroule à l’interne. Pour les fonctionnaires, agir d’un seul coup, « ce sera un beau bordel. On devrait commencer par une région » se fait dire M. Duhaime.

« Êtes-vous sérieux ? réplique-t-il. Si je commence par la région de Québec, ils vont dire que je protège la Mauricie. Si je commence par la Mauricie, ils (les électeurs de la région) vont dire, tu parles d’un gars, il est notre ministre et il nous écoeure. (…) Les fonctionnaires étaient convaincus que nous allions nous casser la gueule magistralement. »

Frapper un grand coup

La décision de frapper un grand coup, et un seul, est arrêtée. Le ministre responsable l’annonce par une déclaration en Chambre, le 22 décembre 1977.

« Le momentum, on l’avait choisi, raconte Yves Duhaime en riant. C’était Noël. Le monde allait jaser de ça. Les clubs n‘étaient pas ouverts. Il y avait deux pieds de neige partout. »

Des opposants ne manqueront pas de se dresser contre la fin abrupte d’un système presque centenaire. Des « chaînes de lettres » d’adversaires se sont abattues sur le cabinet de René Lévesque, relate l’ex-ministre.

« Et je vous fais grâce des visites que j’ai eues de patrons de très grandes compagnies. » Contrairement à la légende populaire, ce ne sont pas des Américains qui étaient majoritairement membres des « clubs », mais certains «étaient propriétaires à travers des compagnies de papier ou des minières ».

Des escarmouches éclateront avec des journalistes qui pronostiquent que l’aventure tournera au saccage de la faune, faute de moyens et d’encadrement. Yves Duhaime a particulièrement en mémoire l’ex-chroniqueur du Soleil André-A. Bellemare, partisan de l’expropriation des chalets des clubs par l’État, quitte à les louer par tirage au sort. « Il m’avait descendu en flammes ! »

Rude bataille aussi sur la route que prend le ministre pour « vendre » sa réforme. « Il y a eu du brasse-camarade à certains endroits, rigole-t-il. À Trois-Rivières (la principale ville de la Mauricie), ç’a été épouvantable; à Chicoutimi-nord, l’enfer. »

La résistance n’entravera pas l’atteinte de l’objectif 

L’opposition se manifestera à l’Assemblée nationale, mais pour dénoncer surtout la hâte d’agir du PQ et le manque de précisions sur la protection et la gestion du territoire.

La résistance n’entravera pas l’atteinte de l’objectif « déclubage ». À compter de janvier, les associations destinées à devenir les zecs se forment en prévision de la « libéralisation » des territoires, au printemps.

Il faudra attendre un an pour faire pratiquement de même sur les rivières à saumon. S’il subsiste quelques clubs privés dans ce domaine sur des parties de rivières, c’est que ces clubs n‘étaient pas assis sur des droits exclusifs ; ils avaient des droits de propriété sur des fosses à saumons dans des cours d’eau de même que sur les terrains attenants. Autrement, aucun passe-droit pour l’abolition des clubs, clame-t-il.

Oui, concède Yves Duhaime au sujet de la fin du régime des « clubs », « il s’est fait des règlements de compte : des équipements appartenant aux anciens « clubs » ont été vandalisés; il s’est produit des cas de braconnage. « Il y a eu des incidents, mais, sur l’ensemble du Québec, cela a été très, très marginal, assure-t-il.

« C’est sûr que le « déclubage » a mis une pression sur la pêche et que les anciens membres des clubs disaient que ça ne « mordait » plus. Mais nous, nous voulions favoriser l’accès du plus grand nombre. »

Yves Duhaime rappelle que les clubs privés étaient doublement inéquitables. Il n’y en avait pas dans certaines régions de la province. Et dans d’autres, ils étaient installés à proximité de centres urbains dont les pêcheurs locaux étaient exclus.

Si le « déclubage » n’apparaît pas comme un haut fait du gouvernement Lévesque, c’est que ce dernier a conduit plusieurs révisions d’envergure, dont la Commission de la santé et la sécurité au travail, le zonage agricole, le français comme langue au travail, énumère M. Duhaime.

« Je suis assez humble pour reconnaître qu’il y a eu des morceaux pas mal plus gros. Mais pour les chasseurs et pêcheurs, c’est fondamental. Cela (mettait) le droit de se promener dans son pays sur un pied d’égalité avec le droit de parler ta langue dans ton pays et à ton travail.

« En réalité, pour l’ensemble des pêcheurs et des chasseurs, pour le monde ordinaire, pour un montant minimal, c’est maintenant accessible partout », sur les zecs, les réserves, les pourvoiries, sur le fleuve, en forêt, même pour s’y construire, précise-t-il. « C’est la liberté totale. »

Auteur : Rendez-Vous Nature

Catégorie : Réseau Zec

Publié le : 2018-04-07 12:00:21